« Le cancer m’a appris à habiter le présent »
Je m’appelle Debora Schivo, j’ai 40 ans et je suis médecin, fondatrice et co-directrice de AMiiA Clinique à Lausanne.

Le 6 décembre 2023, ma vie a basculé : on m’a diagnostiqué un cancer du sein. Mon fils avait alors un an et demi. À ce moment-là, je venais tout juste d’ouvrir la Clinique AMiiA à Lausanne avec mon associée, en avril 2023. Huit mois plus tard, tout s’est écroulé.
Le 23 décembre, j’étais déjà au bloc opératoire. Puis a commencé une longue traversée : chirurgie, chimiothérapie, radiothérapie, immunothérapie et hormonothérapie. Aujourd’hui, mes contrôles sont rassurants : je suis en rémission.
« Le dépistage change tout. »
De cette épreuve, j’ai tiré une certitude : le dépistage change tout. Le moment où la maladie est découverte fait une différence immense, dans les chances de survie comme dans la manière de la soigner. Mais ce que j’ai surtout appris, c’est qu’un tel bouleversement force à redéfinir sa manière de vivre. Ce n’est pas une question de « rester positif » à tout prix, mais plutôt d’accepter ce qui est là, même quand c’est insupportable. Le passé ne revient pas, l’avenir nous échappe : il ne reste que le présent, et il faut trouver la force de l’habiter pleinement.
J’ai appris à écouter mon corps autrement. À le respecter davantage. Le sport, le mouvement, ont été essentiels pour moi : c’était ma façon de reprendre un peu de pouvoir sur un corps qui m’échappait. Travailler, quand j’en avais la force, m’aidait aussi à garder un ancrage et à ne pas laisser au cancer trop d’espace.
J’ai découvert la valeur du soutien. Demander de l’aide n’a rien de faible ; c’est parfois la seule façon de tenir debout. Et j’ai appris à savourer des instants minuscules mais précieux : un sourire, un geste, une présence.
« Demander de l’aide n’a rien de faible. »
J’ai compris aussi que parler sauve. Parler avec les médecins, avec ceux qui savent écouter, avec les associations qui accompagnent. Le silence enferme, le dialogue ouvre des chemins vers l’acceptation et la compréhension.
Un aspect dont on parle trop peu est l’impact de l’hormonothérapie sur le corps et sur l’image de soi. Pour les jeunes femmes, c’est un sujet presque tabou, alors qu’il touche à l’intime : la santé, la féminité, la maternité, le rapport au désir et au temps. La ménopause pharmacologique est une « maladie silencieuse » qui peut détruire bien plus qu’une chimiothérapie. Ce vécu-là mérite un accompagnement médical et paramédical pluridisciplinaire, qui reconnaisse toute sa complexité.
Lire notre article : Hormonothérapie, ce traitement méconnu qui sauve des vies.
C’est pour cette raison que j’ai créé La Croix Rose : pour ouvrir la parole sur ces sujets, pour que d’autres femmes ne se sentent pas seules, pour informer, accompagner et soutenir, et aussi pour contribuer, même modestement, à faire avancer la recherche.
Retour en mots sur une année qui a tout chamboulé
Aujourd’hui, en entrant dans le centre de chimiothérapie, comme d’habitude, je jette un coup d’œil autour de moi, en essayant de comprendre si je suis la plus jeune. Ce geste est désormais presque instinctif, une sorte de réflexe inconscient pour me situer, pour comprendre où je me trouve dans ce contexte où jeunesse et maladie se croisent rarement. Même si, en réalité, j’ai presque 40 ans…
Dans un endroit comme celui-ci, l’âge semble perdre tout son sens, la maladie efface les différences et nous réduit à de simples « malades », dépourvus de toute autre identité. Et pourtant, je ne peux m’empêcher de ressentir ma présence ici comme une sorte d’anomalie, une dissonance dans l’ordre naturel des choses.
J’aime venir ici bien habillée, parfois en portant des chaussures très différentes des habituelles pantoufles d’hôpital. Le bruit des talons qui résonne parmi les « bip bip bip » des perfusions m’apporte une sensation de légèreté et de fierté, un message que, pour une raison que j’ignore, j’ai besoin de percevoir dans le regard des autres pour me sentir rassurée.
Au fond, ce que je vis ressemble à un film surréaliste ; bientôt je me réveillerai et je changerai de chaîne. Bien sûr, ces choses-là n’arrivent qu’aux autres, n’est-ce pas ?
Aujourd’hui est une journée qui a pour moi une signification particulière. Il y a un an, le 6 décembre, on m’a diagnostiqué un cancer du sein. Cette nouvelle a marqué le début d’une année qui, je ne le nie pas, a été longue et difficile.
Cependant, en y repensant maintenant, je me rends compte que cette année a été bien plus qu’un combat. Ce fut une véritable leçon de vie, une période extraordinaire qui m’a profondément transformée. J’ai pris conscience de l’immense valeur des personnes qui nous entourent, de celles qui choisissent de rester à nos côtés, qui nous soutiennent, parfois en silence, parfois avec une force discrète. J’essaie de transformer la colère en courage, la peur en légèreté.
« Aujourd’hui, je ne célèbre pas seulement une bataille, je célèbre ma nouvelle vie. »
Oui, cette année m’a changée. Elle m’a appris à regarder la vie avec un mélange d’humilité, de résilience et, surtout, avec une profonde gratitude pour ce que j’ai et pour les personnes qui sont à mes côtés.
Aujourd’hui, je ne célèbre pas seulement une bataille, je célèbre ma nouvelle vie, tout simplement.
Actualité de Debora
La Clinique AMiiA de Debora organise une conférence sur la ménopause et la santé des femmes, qui aura lieu le 28 novembre 2025 à l’Agora du CHUV. Cet événement, ouvert à la fois aux professionnels de santé et au grand public, vise à favoriser le dialogue, à partager les avancées scientifiques récentes et à sensibiliser à cette étape de vie encore trop méconnue et négligée. Les fonds récoltés auprès du grand public seront intégralement reversés à la recherche contre le cancer du sein (ISREC, IBCSG) ainsi qu’au Groupe périménopause Lausanne, afin de soutenir la recherche et l’accompagnement des femmes concernées.
Programme et inscriptions ici : www.amiiaclinique.ch
Le témoignage de Debora est à retrouver dans le dossier spécial Octobre Rose de notre édition print actuellement en kiosque.