Le 14 juin et après?

Le 14 juin dernier, plus de 500 000 Suissesses ont fait grève pour défendre leurs droits à l’égalité de traitement. On se souvient des images, de leurs slogans construits autour des valeurs salaire, temps, respect, des banderoles fushia, de la passion qu’elles ont mis dans leur marche commune… Mais finalement, quatre mois plus tard, que reste-t-il de cette grève salariée et domestique, et de ses revendications? Que reste-t-il du 14 juin?

Dans le calendrier de l’histoire des rébellions Suisses, le mois de juin est incontestablement celui des femmes! Si elles ont choisi cette date pour faire grève, c’est parce qu’elle fait écho à une première manifestation, le 14 juin 1991, dix ans jour pour jour après l’introduction du principe d’égalité entre genres dans la Constitution Suisse. Cette loi, entrée en vigueur en 1996, concrétise le devoir constitutionnel dans le domaine de la vie professionnelle, interdit toute discrimination directe ou indirecte dans tous les rapports de travail et vise à assurer l’égalité des chances dans la vie professionnelle. Voilà pour la théorie.

En pratique, presque 30 ans plus tard, force est de constater que ce qui semblait être acquis hier, ne l’est effectivement pas aujourd’hui. Pas de changement flagrant depuis la grève de 1991 car dans les faits, on constate encore 20% d’inégalité salariale en moyenne, une charge de travail domestique pénalisante pour les femmes, un manque de reconnaissance sociale, des licenciements abusifs au moment d’une grossesse, pas de congé paternité, 36% de femmes dirigeantes d’entreprises… la liste est non exhaustive.

Alors est-ce que cette marée féministe qui a envahi les rues, toutes classes sociales confondues, ensemble le poing levé a suffi à faire bouger les politiques? Pas vraiment mais un peu quand même… Drôle de réponse pour évoquer un maigre bilan. Sur le volet familial, un congé paternité de deux semaines a récemment été accordé par le parlement. Sur la représentation des sexes dans l’entreprise, de nouvelles règles devraient tendre vers une composition équilibrée des conseils d’administration et des directions des grandes sociétés, avec la mise en place de quotas.

Voilà ce qu’on peut dire quatre mois après. Mais pas de stress, rappelons qu’en matière de droits des femmes, le passé nous a prouvé que la Suisse a toujours conjugué sa politique avec un retard affligeant. Le droit à l’avortement n’a été obtenu qu’en 2002 par exemple, le droit à un congé maternité payé de 14 semaines en 2005, le droit de vote et l’éligibilité des femmes en 1971 seulement, soit cinquante trois ans après l’Allemagne et le Royaume-Uni et vingt-sept ans après la France.

Doucement mais sûrement alors… Et pourtant un demi million de femmes dans la rue ça fait du bruit, un demi million de femmes en colère, vous imaginez, ça marque les esprits! L’avenir nous dira si elles ont suffisamment usé de leur voix. Une chose semble toutefois certaine: elles remettrons ça! De notre coté, chez Marie Claire Suisse, on fera régulièrement le point sur les suites données à cette grève, en laissant la parole à des acteurs de la vie Suisse. Aujourd’hui un journaliste, une mère de famille et une femme politique.

 

Jessica Schwing,
38 ans, mère de famille, coordinatrice pédagogique (Département de l’instruction publique)
Le congé paternité de 14 jours, c’est déjà bien, mais ça n’est pas suffisant! Je trouve qu’il manque une réflexion globale! Ce n’est pas avec 14 jours de congé paternité qu’on va réussir à impliquer d’avantage les hommes dans les tâches d’éducation. Ce que j’aimerais, c’est un congé parental, ce n’est pas du tout la même chose. Là un certain nombre de semaines pourraient être réparties entre les deux parents, pour ne pas pénaliser la carrière de la mère de famille! Ce qui m’inquiète c’est le retard qu’a la Suisse par rapport aux autres pays européens, on est encore un pays très conservateur, très traditionnel. Alors il faut continuer à nourrir cette réflexion pour ne pas que le soufflé retombe. La grève du 14 Juin a posé les bases d’un débat un peu plus large à avoir que juste l’égalité salariale. Elle a montré un «revival» du féminisme chez les plus jeunes, donc qu’il faut opérer des changements plus importants, et réfléchir sur la société qu’on veut plus tard pour nos enfants, et la place de la femme dans celle-ci.

Darius Rochebin,
Journaliste et présentateur à la RTS
La grève des femmes était un très bel événement, que j’ai moi-même vécu, une grève festive mais convaincue, et quand la conviction est si forte, ça touche toujours! J’ai été frappé de voir ma fille de 9 ans et ma soeur, deux générations différentes, manifester et mettre la même passion dans leur présence. Quand les enfants ou les jeunes portent des valeurs aussi fortes il y a encore plus d’impact. Le 14 juin a provoqué un électrochoc dans l’opinion publique. Le droit des femmes est un sujet entré dans les moeurs, et qu’on prend davantage au sérieux, on en parle plus facilement dans les médias et le thème est plus présent dans nos esprits. En télé par exemple, on est plus sensible à l’égalité de représentation lorsqu’on donne la parole sur un sujet… Ensuite mettre en adéquation la réalité avec l’égalité inscrite dans la Constitution c’est toujours difficile, mais ça aura un effet à très long terme, c’est certain.

Géraldine Savary,
50 ans, conseillère aux états, Elue depuis 16 ans, présence en politique depuis 25 ans
En vérité, le bilan de la grève des femmes commence un an avant le 14 juin 2019. Nous avons lancé un appel à la grève un an avant dans le but de faire bouger les choses. On a exigé des chiffres sur la présence des femmes dans tous les domaines pour prouver que nous n’étions pas assez représentées. Et cette pression du monde syndical et politique a permis des actes politiques et sociaux entre 2018 et 2019, avec la reconsidération de certains sujets importants, mais aussi l’élection de deux femmes au conseil fédéral. Donc il y a aujourd’hui 40% de femmes sur les listes du Conseil national candidates et beaucoup plus que prévu sur les listes du Conseil des Etats, ce qui signifie qu’il y aura plus de femmes élues. C’est toujours grâce à la pression que les choses se font! Je suis de nature optimiste, et je pense que si demain on est dans un monde où la représentation des sexes est mieux considérée, le monde va un peu changer. Cette grève, c’était la rencontre entre Beyoncé et Christiane Brunner (organisatrice de la grève de 1991), c’était vraiment une conjugaison historique de toutes les revendications de ces 40 dernières années. Maintenant la parole des femmes est mieux entendue, il faut continuer!