Triste, vieille, négligée, sorcière…
Les qualificatifs et représentations négatives ne manquent pas pour désigner une femme qui laisse ses cheveux poivre et sel au naturel. À l’inverse, une star comme Andie MacDowell s’est vue adulée par les médias pour avoir osé dévoiler ses boucles grises à Cannes.
Projet photographique réalisé au travers de l’association Tokyo Moon, «Silver Power – des Romandes fières de leurs cheveux gris» questionne le regard – parfois ambigu mais jamais neutre – que porte la société envers les femmes à la chevelure argentée au travers de 101 portraits et textes. Soutenue par la Loterie Romande, l’exposition itinérante sillonnera les cantons romands jusqu’en avril 2024.
GHISLAINE HEGER, Photographe
Dédiés à des thématiques sociales ou sociétales, les projets artis- tiques créés dans le cadre de l’association Tokyo Moon visent à bousculer certains clichés ou préjugés. L’idée de «Silver Power» est née au début de l’année 2020 et sa pertinence a été d’autant plus renforcée avec le Covid, durant lequel de nombreuses femmes ont dû renoncer à teindre leur chevelure grise. Tantôt embarrassé, tantôt admiratif, le regard que pose la société sur cette couleur lorsqu’elle est portée au féminin reste encore très ambivalent. Après avoir envisagé une scénographie autour de la symbolique des racines, je me suis décidée pour une approche plus simple, en donnant toute la place aux participantes. Mon but consistait à mettre en lumière le parcours singulier de femmes locales. Issues de tous les cantons romands, les 101 participantes ont ainsi pu choisir l’endroit où elles souhaitaient être photogra- phiées. Toutes se sont aussi prêtées à l’exercice parfois complexe de rédiger un texte sur le rapport qu’elles entretiennent avec leur chevelure. Durant ces trois ans d’intense travail, j’ai également vu mon propre regard changer. Toujours profondément engagé, il est devenu plus nuancé au gré des rencontres et des discus- sions. Loin de vouloir créer de nouvelles injonctions, «Silver Power» entend contribuer à une réflexion globale, vers une nor- malisation pour chaque femme de s’affirmer et de disposer de sa chevelure librement – qu’elle décide de la teindre, ou non…
CORALIE EHINGER, Éducatrice spécialisée et artiste indépendante
Lorsque Ghislaine m’a contactée pour participer au projet «Sil- ver Power», j’ai tout d’abord hésité à rendre mon histoire pu- blique. Mais témoigner de l’impact et des réactions parfois extrêmement vives qu’a pu susciter – bien au-delà de la sphère privée – un choix que je considérais comme personnel et anodin me paraissait très intéressant. En effet, être blonde, brune, rousse ou grisonnante induit et éveille automatiquement de forts préju- gés et images préconçues, variables en fonction des époques et des cultures. Je n’aurais jamais pu anticiper le parcours initiatique qui m’attendait au moment où j’ai décidé de renoncer à teindre ma chevelure noire – que j’adorais, d’ailleurs! Les colorations que j’effectuais depuis 10 ans étaient devenues une vraie corvée, et j’ai donc sauté le pas à 37 ans, après une phase d’acceptation et de deuil de plusieurs mois. Je me suis vite rendu compte que l’image que je renvoyais pouvait provoquer un effet miroir très désagréable pour certaines personnes.
Comme si ma couleur de cheveux les questionnait sur leur propre rapport à la vieillesse, et leur indiquait la bonne attitude à adopter face à elle. Bien malgré moi, le monde voyait dans ma démarche un acte de militantisme à propos duquel il était en droit d’émettre un jugement, et pour lequel j’ai souvent été contrainte de me justifier. Parfois difficiles à supporter, les nombreuses remarques qui m’ont été adressées m’ont aussi rendue plus forte, afin d’assumer ce choix qui consiste tout simplement à m’accepter telle que je suis.