Restons POLIS!

Stress, vitesse… politesse. Le savoir-vivre devient un rempart contre un monde de brutes en pleine mutation. Mieux, il adapte ses codes et les modernise de toute les (bonnes) manières.

Un collègue vous parle. Et vous checkez vos textos, distraite. Que celle qui ne l’a pas fait nous jette son smartphone! L’époque, très digitale, nous ferait dilapider le sens des valeurs. Courtoisie en tête. Alors, oui, on écoute moins. Des «bonjour» et des «merci» se perdent. On ne répond pas aux mails (les experts parlent de ghosting, «disparaître», façon fantôme)… La grossièreté prend-elle le pouvoir? Doit-on voir l’élection de Donald Trump comme un signe? Au contraire. La politesse reprend du galon. Fin janvier, un sondage (Elabe/ Interactifs) la plaçait comme valeur number one au travail. Et un autre (TNS Sofres) jugeait le manque de politesse comme le premier facteur de stress au quotidien. La récente parution du Dictionnaire nostalgique de la politesse (Flammarion) confirme la tendance. Son auteur, l’historien Frédéric Rouvillois, y plébiscite «cette époque, pas si lointaine, où la civilité paraissait la chose au monde la mieux partagée, contribuant à rendre la vie ordinaire plus fluide et moins rugueuse.» On pourrait se moquer de la politesse, lui chercher des poux, la trouver guindée, chichiteuse et fausse. «Elle est la plus acceptable des hypocrisies», rétorque l’écrivain Ambrose Bierce. Et, surtout, elle a dû s’adapter. Dépoussiérer ses codes, ses rituels. La communication, à l’ère du collaboratif (fini les hiérarchies) et des réseaux sociaux, ne se satisferait pas d’un chapeau qu’on soulève, d’un baisemain ou de formules désuètes. Même si, d’ailleurs, on peut rester sensible à cette poésie. Voici donc six situations, ancrées dans le réel, et les façons amènes de mettre de l’huile. Il y a gros à gagner, Montaigne l’écrivait: «La politesse coûte peu et achète tout.» Banco?

Séance bondée au ciné
Le blockbuster va commencer Comment je fais pour être polie? En restant moi-même: discrète et attentive à ne pas troubler la séance. Le portable soigneusement éteint dans la poche. Et si l’autre est impoli? Zut, les djeuns s’installent juste à côté. Et que je mâchouille du pop-corn et que je rétro-éclaire chaque 10 min… Bien sûr, calmement, on peut faire valoir ses droits à coups de «s’il vous plaît, un peu de silence!», mais on court le risque de se faire traiter de «bouffonne». Le coach Bruno Adler, coauteur de Et si je répondais du tac au tac! (Eyrolles), oserait la remarque qui discrédite: «Le goûter d’enfants, c’est dehors. Ici, on est entre adultes.» Quand les lumières reviennent, on peut aussi les instruire: «Je peux vous dire un mot sur la valeur du silence? Voilà: c’est au cours du XIXe siècle qu’on a commencé à le valoriser. Faire silence, c’était contrôler sa voix, son corps. Cette conquête de la discrétion a été un pas supplémentaire dans la civilisation des moeurs.»* Laissez agir. Tout en saluant…

Un entretien pro
Par Skype Comment je fais pour être polie? Dans ce type de situation se pose la question du «rapport de places», selon l’expression de la psy Dominique Picard, auteur de l’essai Politesse, savoirvivre et relations sociales (PUF). Face à soi, on a quelqu’un qui n’est pas un pair, le recruteur est en position de force. Et nous, en «position basse». Donc, je ravale ma frustration de faire cet entretien par écrans interposés (alors qu’on est à 20 min de bus), la politesse parfois, consiste juste à se contenir. «Merci pour cet entretien…» Et si l’autre est impoli? Un mufle! A ne parler que de lui et de ses chiffres, et à checker son smartphone… Selon Bruno Adler, il faut y mettre les formes: «Je me rends compte que vous n’êtes pas disponible à 100 %. Et Skype met un peu l’échange à distance. Souhaiteriez-vous que l’on reporte pour un rendez-vous de visu?» Empathique et force de proposition.

AirBnB
On a loué notre maisonnette à une famille pour l’été Comment je fais pour être polie? L’accueil est le principe n° 1 de la charte d’hébergement du site. D’évidence, on retrousse ses manches, on enfile ses gants et, en fée du logis, on offre un endroit clean, récuré. Les placards sont vidés, sur la table basse, on aura laissé un numéro de téléphone en cas de pépin, des infos sur les transports et les loisirs. Un message de bienvenue, un bouquet et un échantillon de spécialité locale sont des plus. Et si l’autre est impoli? Appart en vrac, serviettes piquées, une note d’évaluation bof sur le site. Voilà qui ne peut rester impuni. Pour Bruno Adler, il faut dire fermement, avec la pointe d’élégance acide: «Chers hôtes, nous constatons qu’il ne vous a pas été possible de respecter notre règlement intérieur. Peut-être que ses quelques lignes vous ont rebutés et qu’en compensation vous vous êtes autorisés à tout dévaster. Prenant le soin de glisser un commentaire sur votre profil, nous vous prions d’agréer, blablabla… et de nous restituer nos serviettes, merci.»

Long voyage en train
En «espace familles» Comment je fais pour être polie? En prenant sur soi, car le trajet risque de ne pas être de tout repos. Coups de pied dans le dos, cris, odeurs de sandwichs au pâté, consoles avec le son à fond… Soit on se lance dans une séance de respirations abdominales (avec des flacons Fleurs de Bach à proximité). Soit on part se détendre à la voiture restauration. La meilleure défense, parfois, c’est la fuite. Et si l’autre est impoli? On a osé faire une remarque au perturbateur («Tu peux baisser Mario Kart, s’il te plaît?»), et les parents nous tombent dessus («Si vous n’aimez pas les enfants, prenez la voiture!»). Bruno Adler suggère d’y aller par paliers. 1/ Le convenant: «Vous le savez, c’est un espace collectif, on doit tous faire des efforts pour que le voyage reste agréable.» 2/ Le pédago mâtiné de Dolto (si l’enfer continue…): «Les enfants ont besoin de limites. C’est votre rôle de fixer un cadre.» 3/ Plus subtil, on va voir l’enfant et on joue la connivence: «Tu connais le jeu du Roi du Silence? Toi et moi, on va jouer à celui qui fait le moins de bruit…» Bien sûr, on a aussi le droit de penser: «Des gamins pareils, ils devraient être tenus en laisse.» Mais ça, on ne le dit pas…

Le service d’un copain
Via Messenger ou WhatsApp Comment je fais pour être polie? On n’avait pas de nouvelles de lui depuis deux ans. Et le voilà qui nous interpelle le temps d’un SMS – à peine «bonjour»: «Slt, tu peux me mettre en contact avec XX? Il paraît qu’il recrute…» Certes, le virtuel nous autorise à quelques raccourcis (formules plus directes, émoticônes…), mais ne dispense pas de l’élémentaire politesse. A fortiori, quand ça fait un certain temps qu’on n’a pas échangé (ce que le sociologue Erving Goffman nomme le «degré d’accessibilité», soit le laps de temps entre deux échanges). Donc, on est poli pour deux, en insistant sur nos «Bonjour» et les «Que puisje faire pour toi?» Autrement dit, on pose le ton de l’échange. Et si l’autre est impoli? Même pas «merci». Juste un smiley qui ne lui coûte qu’un clic. Bruno Adler suggère de rappeler les règles de la Nétiquette: «Tout ce qu’on ne ferait pas au cours d’une conversation réelle, on ne le fait pas davantage, caché derrière le bouclier du virtuel. Donc, on lui écrit: «Tu sais, même sur Messenger ou par SMS, j’ai besoin qu’on y mette un minimum les formes. Prenons un café, ce sera aussi l’occasion de nous revoir et savoir ce que chacun devient.» Et s’il ne répond pas? On le blackliste. On a le droit d’utiliser les moyens modernes aussi, #zut.

Covoiturage, blablacar
Go pour un Lausanne-Paris avec un parfait inconnu! Comment je fais pour être polie? On arrive à l’heure. Au motif que notre vie est speed, de plus en plus de gens imposent leur «quart d’heure de politesse» (de retard). Pas nous. Ensuite, en voiture, il faut savoir… se conduire. Affable mais pas trop, loquace ce qu’il faut. Qui ne dit mot, contrarie. Dans son essai, la psy Dominique Picard rappelle que «la conversation symbolise une convivialité aboutie. Celui qui reste silencieux commet la pire des incorrections.» Et si l’autre est impoli? 1/ Il jacasse et, intrusif, pose mille questions. 2/ Il semble avoir des soucis d’hygiène corporelle et se coupe les ongles en live. Bruno Adler propose: «Si je conduis, pour justifier ma réserve: «Désolé, je préfère arriver muette et vivante, qu’énervée et dans le décor.» Pour la saleté, jouer de fausse bienveillance: «Voulez-vous vous rafraîchir à la station-service?» Plus radical, on peut lui tendre un cendrier de poche. Pour les rognures.


* Infos glanées dans le «Dictionnaire nostalgique de la politesse», de Frédéric Rouvillois, Flammarion.