Le goût et la modernité de la lenteur

Poires anciennes, fromages d’alpage inimitables, la Suisse possède un patrimoine culinaire unique. Connaissez-vous le chantzet du Pays-d’Enhaut? Ce boudin, dont la recette remonte à la nuit des temps, est relevé de chou cru: un délice que seuls deux bouchers fabriquent encore. Il fait partie des vingt-deux produits suisses labellisés Slow Food. Bataille d’arrière-garde ou combat du futur? Bertrand Ba eriswyl, président de Slow Food Fribourg, nous éclaire.

«Notre convivium – un beau synonyme de section – est formé de 50 membres. Nous sommes 3500 dans le pays. Notre philosophie de consommation s’attache à ralentir, à comprendre ce que l’on mange. Nous menons un combat pour préserver la biodiversité en répertoriant les produits rares et en soutenant les producteurs. Nous aimons ce qui est au lait cru, qui est fumé au feu de bois. Ces éléments peuvent paraître passéistes, en réalité ils sont modernes et tournés vers l’avenir. Avec un père, un grand-père fromagers et une enfance vécue dans une laiterie, je me suis toujours posé des questions sur ce que je consommais. Le goût, l’authenticité des aliments m’apparaissent primordiaux. Petit à petit, c’est devenu pour moi une sorte d’activisme joyeux. Le consommateur doit être conscient de ce qu’il achète, il doit renouer le contact avec les produits. Nous sommes à un moment charnière, nous pouvons encore choisir de faire vivre notre patrimoine culinaire dans nos assiettes. Si nous tardons, il n’en restera que des souvenirs dans les musées. Dans le canton de Fribourg, notre rêve est de créer des marchés du soir, de 17h à 20h. Les marchés du matin ne sont pas accessibles aux personnes qui travaillent à 100%. Il faut donc s’adapter. Ainsi, les gens auront le choix d’y acheter leurs légumes frais au lieu d’aller dans les centres commerciaux. Ce sera l’occasion de créer du lien avec les producteurs locaux et d’être conscient de ce qu’on mange. Aujourd’hui, la traçabilité est un enjeu majeur: sans contrôle de la provenance, on reste ignorant sur la qualité du produit. Voilà pourquoi, pour bien se nourrir, il faut privilégier les circuits courts et s’approcher au plus près des producteurs. La rencontre est un des combats de Slow Food. D’ailleurs, au mois d’août, nous organisons une matinée découverte des secrets du vacherin d’alpage cuit au feu de bois. Nous montons à l’alpage avant d’être initiés à la fabrication du fromage et à sa dégustation. Toute une histoire à partager pour un avenir qui aura du goût!»

Cette interview a été réalisée dans une cantine à l’esprit Slow Food. Les Menteurs ont ouvert leurs portes en février dernier à Fribourg, dans le quartier d’innovation de Blue Factory. Dès l’entrée se trouve l’atelier Pastabate où Vincenzo Abate, fournisseur du restaurant, fabrique ses pâtes. «Je suis au coeur d’un fantastique laboratoire qui m’incite à innover. Par exemple, si j’ai envie de tester une nouvelle farine, j’en parle au chef de cuisine qui, selon la composition de mes pâtes, prépare une sauce adéquate. Puis j’ai un retour direct des clients: ils viennent me regarder travailler. Je ressens leur intérêt d’être au coeur d’une fabrique alimentaire. Je leur explique que j’utilise des céréales cultivées à 35 km, transformées en farine à 9 km, puis en pâtes consommées sur le lieu même de fabrication. Je travaille en lien étroit avec l’agriculteur et le meunier. Avec nos regards complémentaires, nous sommes en recherche perpétuelle pour améliorer le procédé de fabrication. Aussi, pour moi, ça a tout son sens de m’être installé sur un site dédié à l’innovation. Produire Slow Food est définitivement moderne.»

Pour plus d’information: www.slowfood.ch.